Amitabha, 1re partie (Lama Tréhor)

Lama Tréhor - Extrait du livret "Amitabha, 1re partie" - Décembre 2009

Comment différencier les pratiques appartenant aux soutras de celles des tantras ?
Les pratiques appartenant aux soutras demandent principalement de visualiser la divinité en face de nous. Nous lui adressons des louanges, visualisons des offrandes, récitons son mantra. Nous pouvons aussi, dans certaines phases, visualiser que des rayons lumineux émanent de cette divinité et viennent se fondre en nous, purifiant ainsi différents voiles. Dans une méditation appartenant à la tradition des soutras, nous ne nous visualisons jamais sous la forme de la divinité. De plus, aucune consécration n’est nécessaire pour mettre en œuvre ce type de pratique, seule l’autorisation de la lecture du rituel est requise.
Le fait de réciter les mantras, qui correspondent souvent aux noms des bouddhas pratiqués dans les soutras, permet de purifier l’esprit des voiles générés par les négativités accomplies par le passé.
Cela est possible parce que ces bouddhas ont formulé, pendant de nombreux éons, des aspirations pour accomplir le bien des êtres et ont parachevé l’accumulation de mérite leur permettant de réaliser ces aspirations. Ainsi, le simple fait de réciter leurs noms est porteur de bénédictions. La pratique de la confession aux trente-cinq bouddhas en est un exemple : il s’agit de réciter les noms de ces bouddhas et si nous sommes emplis de confiance au cours de cette récitation, elle engendre une purification et de grands bienfaits.

Cependant, pratiquer seulement selon la tradition des soutras, en nous visualisant continuellement sous notre forme ordinaire, ne nous conduira pas à dépasser la saisie développée sur la base de notre apparence physique.
Se relier à la bénédiction des bouddhas en récitant leurs noms aura un effet positif mais prendra un temps extrêmement long pour nous conduire à une libération parfaite. Les techniques des tantras sont beaucoup plus rapides, elles permettent d’utiliser directement le fruit du chemin en nous visualisant sous la forme des bouddhas.
La réalisation d’un corps de sambhogakaya est le fruit d’éons d’accumulation de mérite et de sagesse. Dans les pratiques des tantras, nous nous visualisons instantanément sous la forme d’un corps de sambhogakaya et bénéficions ainsi de la réalisation de ces bouddhas qui a la puissance de purifier notre attachement, notre saisie égocentrée.

Pratiquer le rituel d’Avalokiteshvara ne va pas instantanément nous transformer en Avalokiteshvara ! Il ne faut pas s’inquiéter ! Il a fallu des éons entiers d’accumulation de mérite, de sagesse et d’aspiration pour qu’Avalokiteshvara réalise le dharmakaya, le corps absolu. Il a ensuite pu manifester les deux corps formels dont fait partie le corps de sambhogakaya. Nous ne pouvons pas réaliser ce même fruit immédiatement !

S’il ne faut pas espérer réaliser immédiatement le dharmakaya, pourquoi effectuer ces visualisations ?
Elles permettent de purifier notre vision duelle qui nous fait penser qu’il y aurait nous et Avalokiteshvara, qu’il faudrait nous transformer en Avalokiteshvara. C’est cette saisie du soi présente depuis des temps sans commencement qui entraîne la saisie des agrégats et engendre une vision dualiste de soi et des autres. Or, c’est précisément cette vision duelle erronée et enracinée dans la saisie égocentrée qui entrave notre visualisation sous la forme d’un corps de sambhogakaya tel qu’Avalokiteshvara.

Il ne s’agit pas de dire que le soi n’existe pas ou qu’il n’y a pas de moi et de sombrer dans une vision nihiliste. Mais, petit à petit, en analysant et comprenant vraiment sur quoi se fonde la construction de l’idée d’un soi, des agrégats, etc., en sachant comment fonctionne cette saisie égocentrée, nous comprendrons qu’il n’y a pas vraiment de différence entre Avalokiteshvara et nous-mêmes.

Il existe diverses façons d’accéder à cette réalisation. Il est possible de procéder par l’étude du Dharma, des écritures, des textes philosophiques. Par l’étude, nous pouvons accéder à une certitude de ce qui est véritablement. Les pratiques des tantras constituent un autre accès conduisant à cette même certitude quant à la compréhension des phénomènes dans leur nature fondamentale.

Cette saisie du soi, présente depuis des temps sans commencement, a-t-elle à un niveau ultime la réalité qu’elle laisse apparaître à un niveau superficiel ou relatif ?
Je ne dis pas que nous ne sommes pas là, qu’il n’y a pas d’individu. A un niveau relatif ou superficiel, des phénomènes peuvent apparaître mais leurs apparences ont-elles la même réalité à un niveau ultime ? La croyance en un soi a-t-elle cette même existence à un niveau plus absolu ? La pratique des tantras permet de comprendre la nature ultime des phénomènes.

Gampopa expliquait qu’il ne fallait pas faire du Dharma autre chose que le Dharma. Il ne faut pas essayer de comprendre ou d’expliquer le Dharma pour faire plaisir, séduire ou à d’autres fins mondaines. Il y a juste à comprendre comment il se fonde uniquement sur les caractéristiques intrinsèques des phénomènes.
La compréhension des agrégats, du soi, etc. se développe à partir d’une connaissance parfaite de ce que sont les caractéristiques des phénomènes. Si notre pratique des tantras n’est pas fondée sur cette certitude, elle peut même devenir dangereuse. Il y a lieu d’être vigilants, car si les pratiques tantriques ne sont pas effectuées sur cette assise, nous pouvons reprendre naissance sous forme d’âmes errantes ou de dieux mondains.

Le terme sang ngak, traduit par mantra secret, est utilisé à juste titre parce que ce chemin demande une certaine connaissance pour utiliser ces pratiques correctement. Les mettre en œuvre sans aucune connaissance ni compréhension de ce que sont les caractéristiques des phénomènes, et avec le seul espoir d’en obtenir le fruit, développera de l’orgueil. Cet état d’esprit est dangereux et peut conduire à prendre naissance sous des formes non humaines.

Pour méditer sur le support d’un yidam, il faut observer comment la force de la croyance en un soi pousse continuellement à penser en termes de mon corps, moi. Mais quelle réalité a cette saisie égocentrée, à un niveau plus ultime ? Cette réflexion est importante et les pratiques de yidam doivent lui être associées.
Nous pouvons avoir une certaine compréhension des phénomènes dans leur mode ultime, avoir conscience que la saisie du soi comme véritablement existant n’a pas cette même évidence au niveau de la réalité ultime, tout en conservant des tendances très fortes dont il n’est pas aisé de se libérer immédiatement.
À partir de cette compréhension, mettre en pratique le véhicule des tantras et nous visualiser sous la forme d’un corps de plénitude des qualités, sambhogakaya, nous aidera à purifier progressivement nos tendances. Il est cependant nécessaire que cette compréhension ait pris place au préalable.

D’autres bienfaits résultent de la pratique d’un yidam. Par exemple, lorsque nous nous visualisons sous la forme d’Avalokiteshvara, nous nous associons à sa compassion qui est le fruit d’éons d’accumulation de mérite et d’aspiration pour le bienfait des êtres. En nous visualisant sous cette forme, nous créons un lien entre le mérite, la compassion d’Avalokiteshvara et nous-mêmes, ce qui engendre une impulsion, une force ainsi qu’une bénédiction.
Les bouddhas atteignent l’éveil avant tout par compassion pour les êtres. Se visualiser sous la forme d’un yidam nous relie à leur compassion et à leur bénédiction. Le fait de nous réjouir ainsi de l’activité des bouddhas et des bodhisattvas met en œuvre l’interdépendance qui rend le lien possible entre la compassion des bouddhas et nous-mêmes.

Il n’est pas possible de pratiquer n’importe quel yidam car le véhicule des tantras requiert une initiation (ou consécration) préalable. Celle-ci est conférée par un maître qui a lui-même reçu cette transmission et l’a réalisée. Cette lignée de transmission et de réalisation est nécessaire pour que le pratiquant puisse se visualiser sous la forme de telles divinités.
Shamar Rinpoché vous a transmis l’initiation d’Amitabha. Il s’agit d’un maître éminent, appartenant à la lignée d’incarnation des Shamarpa dont la venue a été annoncée par des grands maîtres du passé tels Milarépa ou les Karmapa ; ces derniers ont désigné les Shamarpa comme étant des émanations du Bouddha Amitabha. Le 16e Karmapa a lui-même composé différentes prières dans lesquelles il évoque Shamar Rinpoché comme une émanation d’Amitabha.
Recevoir de façon parfaite cette consécration de Shamar Rinpoché qui, d’incarnation en incarnation, met en œuvre ces pratiques est le signe d’un karma extrêmement positif.
Une fois que nous aurons reçu les instructions en lien avec cette pratique, le fait de rassembler les conditions pour les mettre en œuvre ne dépendra que de nous-mêmes.
Depuis de nombreuses années, nous avons pour but de pratiquer et avons reçu de nombreux enseignements. Si nous n’observons pas de progrès manifestes, c’est que nous n’avons pas compris le sens profond de ce qui est expliqué. Nous assistons aux enseignements, nous écoutons, avec le sentiment qu’il s’agit toujours des mêmes choses qui se répètent, et finalement nous ne progressons pas. Se greffe alors le danger que nos fréquentations puissent nous détourner de notre objectif premier et que, peu à peu, nous nous écartions du chemin du Dharma. Milarépa exprimait souvent cela : il est essentiel de ne pas se tromper soi-même, de ne pas toujours penser que nous avons compris, etc. Se fourvoyer soi-même est la plus grande erreur : il est important d’essayer d’approfondir notre compréhension.
Tous les lamas enseignent, par exemple, les notions de compassion et de vertu qu’il nous faut mettre en œuvre. Ces quelques mots résument l’ensemble et nous pensons que finalement les maîtres ne parlent que de compassion, de vertu ou de mérite. Nous imaginons donc avoir compris parce que nous entendons cela depuis longtemps déjà. Nous entendons les mots compassion et mérite mais ne comprenons pas profondément les bienfaits de cette vertu ; nous n’avons pas intégré le sens réel de ces termes.

Il n’est pas possible de toujours expliquer les choses de façon douce. Nous pouvons passer notre existence entière à écouter et recevoir des explications qui abondent dans notre sens, mais cela ne sert pas à grand chose. Il peut nous arriver parfois d’entendre quelque chose qui nous met mal à l’aise et qui peut même engendrer en nous une certaine colère. Cela ne dessert pas le lama qui donne cette explication : il n’enseigne pas pour générer un malaise. Si un malaise se révèle en nous, c’est le signe de la présence d’un défaut en nous-mêmes. Je m’exprime ainsi parce que je suis conscient que vous n’êtes plus des débutants.
Nous ne pouvons pas espérer nous libérer du samsara uniquement par le biais de méthodes douces. Les difficultés liées à cette seule existence sont composées des certitudes que nous avons acquises, des problèmes rencontrés, du quotidien difficile à gérer. Nous pouvons maintenant y ajouter les existences successives : les existences passées qui sont en nombre infini et les existences à venir qui seront également en nombre infini si nous ne faisons rien pour stopper ce processus. Souhaiter mettre un terme à ces existences successives nécessite d’avoir conscience que les méthodes douces ne suffiront pas.

Les maîtres, les bouddhas et les bodhisattvas enseignent et sont présents par amour et compassion. Ils nous aident à mettre un terme à ce qui nous pousse continuellement à reprendre naissance dans le cycle des existences conditionnées depuis des temps sans commencement : ils nous guident ainsi afin de nous établir dans un état de bonheur authentique. Le bonheur expérimenté au quotidien est important, il ne faut pas le dénigrer car il est primordial de pouvoir être heureux ; cependant, il ne faut pas s’attacher au bonheur de cette seule existence, puisque l’essentiel est de pouvoir accéder à un bonheur authentique. C’est la raison pour laquelle les maîtres parlent de façon directe, motivés par l’amour et la compassion, pour nous aider à nous libérer de l’existence conditionnée.

En observant cette existence, nous constatons que nos désirs, notre vision de la vie ou du bonheur ne peuvent pas être niés. Comment procéder pour que cette vie soit également source de bonheur authentique pour les existences futures ? La compréhension de cet aspect engendrera une certaine forme de diligence, de persévérance, de patience, qui nous conduira à développer la connaissance supérieure, essentielle pour nous développer sur le chemin. Sans cela, la pratique du Dharma sera seulement perçue comme un remède aux souffrances grossières : confrontés à une situation de souffrance, nous venons assister aux enseignements et nous les mettons en pratique, puis, dès que tout va mieux, nous laissons tout cela de côté… Du fait de cette attitude nous ne progressons pas vraiment. Une intégration en profondeur de ce qui vient d’être expliqué nous permettra de mettre en œuvre la pratique continuellement, où que nous soyons et quelle que soit notre activité.
Sur la base de cette compréhension, il n’est pas nécessaire d’embrasser une vie monastique pour accéder à l’éveil. L’histoire montre que de nombreux laïcs ont pu l’atteindre : des rois, des ministres... Il est possible de s’inspirer des hagiographies des mahasiddha de l’Inde, par exemple, qui étaient de très grands accomplis. Ils ne menaient pas forcément une vie monastique mais choisissaient une vie laïque et sont tout de même devenus de très grands êtres réalisés. Des maîtres comme Tilopa ou Naropa ont adopté une vie monastique à un certain moment de leur vie, puis sont devenus laïcs par la suite. Cependant, il ne faut pas se méprendre ici : ce n’est pas en raison de perturbations grossières qu’ils ont délaissé la voie monastique. Les raisons sont ailleurs. En adoptant la voie monastique, ces grands maîtres démontrent l’importance d’une éthique extérieure et en empruntant la voie laïque, ils indiquent qu’accéder à la réalisation s’effectue avant tout au sein de l’esprit. Il en va de même pour un maître comme Marpa.