La nature de bouddha (Khenpo Ngédeun)

Khenpo Ngédeun - Extrait du livret "La nature de bouddha" - Avril 2009

Au début de chaque enseignement, il est important de développer la motivation juste et de se concentrer sur l’exposé avec le souhait de cultiver l’esprit d’éveil. La bodhicitta est un souhait à renouveler instant après instant ; en s’y appliquant, une habitude sera prise qui imprègnera le courant de notre être. De cette intégration de l’esprit d’éveil naîtra un mérite incommensurable.

Le Dharma est constitué d’une part du Dharma des textes et d’autre part du Dharma de la réalisation ou de la pratique. Il peut être enseigné à la façon du Bouddha, des arhat ou des pandita. Pour le recevoir, il faut prendre garde d’être libre des trois défauts du récipient (1) et ne pas être pollué par les six émotions grossières (2). Le plus important est de développer la motivation correcte qui se rapporte au Mahayana : la bodhicitta. Elle consiste à ne pas vouloir atteindre le résultat pour soi-même, mais à avoir conscience de l’ensemble des êtres et à essayer de pratiquer pour le bien de tous. Gardez cette motivation, précieuse tel un nectar, à l’esprit.
Le Dharma prend sa source en le Bouddha historique, Shakyamuni. Celui-ci a, dans un premier temps, généré l’esprit d’éveil, puis accumulé trois grands kalpa de potentiel méritoire, pour enfin s’éveiller au plein et parfait éveil. L’éveil insurpassable une fois atteint, il a transmis le Dharma tel un nectar, de façon progressive, en trois grands cycles d’enseignements. Le premier cycle a abordé le thème des quatre vérités des êtres nobles. Le second tour de roue est appelé le cycle sans caractéristique, le troisième, le cycle insurpassable. Ces enseignements ont été transmis en fonction des aspirations, des aptitudes et des facultés des disciples.

Les deuxième et troisième cycles d’enseignements font partie de ce que l’on appelle les enseignements de sens définitif ou certain, ils portent plus particulièrement sur la réalité ultime et sont surtout destinés aux êtres éveillés au potentiel du Mahayana. Le troisième cycle d’enseignements retient aujourd’hui notre attention, puisqu’il était exclusivement destiné aux pratiquants ayant emprunté le chemin du Mahayana, les bodhisattvas. Le Bouddha a développé la dimension de la nature de bouddha dans ce corpus d’enseignements nommé « la corbeille des soutras essentiels », comprenant le Tathagatagarbhasutra, le Samdhinirmochanasutra, le Mahaparinirvanasutra, le Lanka-vatarasutra, le Shrimaladevisimhanadasutra, l’Avatamsakasutra (3), etc. Il y a ainsi plus de vingt et un soutras différents qui s’attachent à développer la notion de la nature de bouddha. Ils ont pour objectif de montrer que l’essence de tout être est pure ; différents termes sont utilisés : « clarté luminosité », « indissociabilité de la vacuité et de la clarté, et indissociabilité de la vacuité et de la connaissance », etc. Ces enseignements sur la nature de bouddha sont spécifiques au troisième tour de roue et n’ont pas été enseignés lors du premier et du second cycle.
Après le décès du Bouddha, ses disciples se réunirent et convoquèrent trois grands conciles au cours desquels furent fixés et recueillis, dans un premier temps, les enseignements et les paroles du Bouddha. A la suite de ces conciles où les corbeilles de l’enseignement furent graduellement consignées par écrit, se développèrent les grands courants que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de bouddhisme, notamment celui du Mahayana répandu par Nagarjuna (4). Ce pandita indien est un grand maître du Mahayana, il a composé de nombreux traités(5) qui s’attachent à éclaircir et établir les différences entre les diverses vues des écoles philosophiques. Les grands traités principaux dont il est l’auteur participent à clarifier les intentions du Bouddha concernant les enseignements du troisième tour de roue, c’est ainsi que Nagarjuna explique les notions du dharmata ou de l’esprit de vajra. Ces différents traités se rapportent à la nature de bouddha. Les écrits de Nagarjuna concernant le deuxième tour de roue sont appelés La Collection des raisonnements de la Voie Médiane, ceux concernant le troisième tour de roue La Collection des louanges.
Cette esquisse historique vous permettra d’acquérir quelques repères.

Parmi les grands maîtres de l’Inde ancienne, Nagarjuna était considéré comme l’un des « deux excellents » (6), le second étant Asanga (7) qui reçut les enseignements du Mahayana de Maitreya dans le monde divin de Tushita. La rencontre entre Maitreya et Asanga fut à l'origine de la composition de cinq grands traités (8), des commentaires sur les intentions du Bouddha Maitreya. Parmi ceux-ci, le Gyü Lama est le plus directement axé sur la nature de bouddha. Le grand accompli Maitripa (9) répandit deux des cinq traités dans le monde humain. En effet, un jour, alors qu'il se trouvait face à un stoupa brisé, il vit de la lumière s’en échapper ; il s’approcha et trouva deux textes : le Gyü Lama et le Dharmadharmatavibhanga. Lorsqu’il reçut ces textes, le Bouddha Maitreya en personne lui apparut ; grâce à l'influence spirituelle de Maitreya, Maitripa réalisa le sens de ces textes et les transmit en Inde à son disciple, Anandakirti, qui se rendit au Cachemire déguisé en mendiant et à son tour les transmit au Cachemiri Sajjana (10).
La transmission de ces deux textes au Tibet donna naissance à deux traditions différentes : la tradition scolastique et la tradition de la pratique ou de la réalisation. La tradition scolastique prend sa source avec le grand traducteur Ngok Loden Sherap (11) qui traduisit ces textes. La tradition de la pratique est issue de Zu Gawa Dorjé et Tsan Khawoché (12). C’est dans cette dernière tradition que s’est développée une école de pensée spécifiquement tibétaine : l’école Shentong, fer de lance des maîtres Jonangpa tels Yumo Mikyö Dorjé (13), Dolpopa Sherap Gyaltsen (14) ou encore Taranatha (15).
Dans l’école Kagyüpa, le sujet de la nature de bouddha est primordial. Les grands accomplis de l’Inde ancienne, premiers pères de ce mouvement aujourd’hui connu sous le nom de Kagyü, comptaient parmi eux les maîtres Saraha, Maitripa, Tilopa, Naropa, Nakpochépa, Kukuripa, Dzalendra, Virupa, etc. Leur enseignement porte sur la nature de l’esprit, décrite dans leurs chants de réalisation comme étant claire lumière, pure par nature, union de la vacuité et de la qualité illuminante, autant de synonymes de la nature de bouddha. Ils sont les premiers propagateurs de l’enseignement du Mahamudra.

Le traité du Gyü Lama est particulièrement important, car il explique ce qu’est la nature de bouddha : nature de clarté et de luminosité. Le grand maître du Mahamudra, Gampopa, énonce lui-même que l’explication de la nature de bouddha dans le traité du Gyü Lama est ce qui fait le pont avec l’explication du Mahamudra.
Dans l’école Nyingma, la tradition de la Grande Perfection, le but est la réalisation du niveau ultime du Dharma, de l’ati. Les enseignements de cette tradition reposent sur trois aspects ou classes : la classe mentale, la classe spatiale et la classe des instructions clefs (16). Ils utilisent des expressions comme « claire lumière primordiale », etc. ; les termes employés diffèrent mais le sens demeure le même : la nature de bouddha. La tradition Nyingma s’appuie sur différents tantras, comme le Tantra qui condense la connaissance, qui sont des moyens afin de réaliser la nature de luminosité de l’esprit. Qu’il s’agisse de la tradition de la Grande Perfection ou du Mahamudra, le but reste le même : réaliser la nature véritable de l’esprit qui n’est autre que la nature de bouddha. Ce sujet occupe une position centrale au sein des deux écoles Kagyü et Nyingma. Tous les enseignements, commentaires ou paroles des bodhisattvas se rapportent à ce sujet.

Les diverses considérations au sujet des écoles de pensée Shentong ou Rangtong et leurs divergences ne constituent pas le but de cet enseignement. Parmi vous, certains sont peut-être plus enclins à embrasser la vue Shentong, d’autres ont plus d’affinités avec la vue Rangtong ; les vues spécifiques à ces écoles de pensée ne seront pas développées ici, afin de ne pas dévier du sujet principal : la nature de bouddha.

La nature de bouddha est un sujet extrêmement délicat et ardu. Etudier plus particulièrement les enseignements du grand maître Asanga permet de comprendre pleinement ce sujet. Se fonder également sur la vue de l’école de pensée du Madhyamaka, développée et répandue par Nagarjuna, est aussi capital, sinon la véritable signification de la nature de bouddha ne sera pas appréhendée. La pratique de la sixième paramita, celle du discernement, est nécessaire pour entrer dans le sujet. En effet, il faut au préalable être doté de la connaissance de la vue exposée par Nagarjuna, afin de pouvoir réaliser le sens de la nature de bouddha. Si elle n’est pas comprise, ce qui sera appréhendé demeurera une élaboration personnelle.
Comprendre le sens de la nature de bouddha est particulièrement important dans la perspective de la pratique des tantras, c’est-à-dire du Mantrayana ou Vajrayana. En effet, il est impossible d’obtenir les résultats d’une pratique du Vajrayana si, au préalable, la notion de nature de bouddha n’est pas assimilée. L’étude des soutras qui développent cette notion, des traités, des enseignements ou encore de tous les éclaircissements qui élucident les intentions du Bouddha à ce sujet revêt un caractère d’importance. Sur la base de l’étude, la pratique des tantras portera ses fruits et des expressions telles « vajra de l’esprit » et « essence lumineuse de l’esprit » prendront tout leur sens. Le 3e Gyalwa Karmapa Rangjung Dorjé est l’auteur du traité nommé en tibétain Nyingpo tenpa, le Traité qui montre l’essence des tathagata. Il explique dans ce texte que la nature de bouddha est le cœur de la pratique du Vajrayana. Une pratique qui ne se base pas sur une bonne compréhension de la nature de bouddha par le biais de l’étude des soutras, des traités, des commentaires, etc. ne sera pas fructueuse(17).