Un corpus aux multiples usages

La motivation première lors de la création d’un corpus canonique au Tibet fut le souhait de fixer l’enseignement du Bouddha en un tout cohérent et organisé, afin de le préserver et de le transmettre. Cependant, l’utilisation de cet ensemble formidable de textes dépasse la seule référence aux paroles de l’éveillé pour révéler une multitude de facettes, allant de la vénération de l’objet sacré au développement de l’activité méritoire. Ainsi, l’objet lui-même et le sens qu’il véhicule son intimement liés.

le canon tibetain preservé dans un autelSi le canon tibétain recouvre un immense ensemble de textes préservant les enseignements du Bouddha, il ne contient pas les commentaires postérieurs composés par les maîtres tibétains eux-mêmes. Une des particularités du canon est d’avoir pour fonction la préservation des sources indiennes du bouddhisme (traduites en tibétain) ce qui assoit l’authenticité de la tradition tibétaine en la liant aux origines : l’enseignement du Bouddha lui-même et les commentaires qui furent par la suite développés par les maîtres de l’Inde ancienne.


Le corpus est également révéré comme un objet sacré. Il représente le second des trois joyaux du bouddhisme : l’enseignement (Dharma). Symbole du verbe du Bouddha, le corpus reçoit à ce titre toutes sortes d’hommages et de marques de respect : circumambulations, prosternations, etc.  Pour cette raison, il est préservé sur les autels des monastères ou à proximité (les versions modernes numérisées facilitent grandement cela !).

Les trois joyaux : source de refuge des pratiquants bouddhistes

L’essence du bouddhisme est contenue dans les Trois Joyaux : le Bouddha, le Dharma (son enseignement) et le Sangha ou communauté des êtres éveillés. L’une des pratiques principales sur la voie consiste à se relier à ces trois aspects de l’éveil, ce qu’on appelle « prendre refuge ». Il s’agit de suivre, comprendre et intégrer les enseignements (Dharma), de s’appuyer sur les guides et particulièrement des maîtres réalisés (Sangha) et d’obtenir  le fruit du chemin : l’état de bouddha.

La notion de « mérite » dans le bouddhisme
Le terme français semble indiquer une dimension morale qui est en réalité absente du « mérite » au sens où l’entend le bouddhisme. Cette notion a trait notamment à l’ensemble des activités et des efforts qui conduisent à la purification des voiles recouvrant notre nature d’éveil. Pour la comprendre, on peut également la rapprocher de la notion de Karma, qui dans le bouddhisme indique que chaque acte du corps (action physique), de la parole (propos) ou de l’esprit (pensées, intentions…) est porteur de conséquences. Les actes dits positifs ou méritoires sont ceux qui conduisent dans la direction de l’éveil.


Des tibétains font tourner les moulines de prières

Un troisième aspect important de l’utilisation de ce corpus réside dans l’accumulation de provisions méritoires nécessaires à la progression spirituelle du pratiquant. Le fait de commander la réalisation d’une édition de ce corpus est considéré comme un acte noble et porteur de graines vertueuses. Ainsi, le maître de la lignée Kagyu, le Karmapa Rangjung Dorje (1284-1339) a-t-il commandé, fourni le matériel pour la réalisation et consacré un Tengyur écrit en lettres d’or. Plus le matériel est noble et précieux, plus grand en est le mérite retiré, qui est aussi proportionnel à la motivation et à l’effort fourni. La copie votive répond à la même logique. Le commanditaire, tout comme le copiste, en retirent un même potentiel méritoire.

La lecture à haute voix du corpus participe aussi de cet aspect de provisions méritoires : chaque moine se voit ainsi attribuer quelques pages d’un volume qu’il doit lire à voix haute en même temps que son voisin, qui a reçu les pages suivantes… Les réunions de plusieurs centaines voire milliers de moines étaient chose courante au Tibet et la totalité du Kangyur était scandée chaque jour à l’aube. Cette lecture s’apparente ainsi davantage à un aspect rituel qu’à l’étude de l’enseignement lui-même.